(Fête du Baptême du Seigneur, Mc. 1, 7-11)
« Tu
es mon fils bien-aimé, en toi je trouve ma joie. » C’est ainsi que le
récit de cette théophanie présente la mission et la véritable identité de
Jésus. J’aime beaucoup ce terme de « bien-aimé » par lequel la voix
divine annonce à tous qu’en cet homme elle a versé toute la qualité et la force
de son amour et que cet amour lui procure bien-être et joie. C’est très touchant
et humain ce Dieu qui trouve son bonheur, non pas dans sa toute-puissance et sa
majesté, mais dans l’amour tendre qu’il ressent pour ce fils de l’homme qui, pour lui, est également son fils bien-aimé, comme le sont tous les autres
fils et filles d’hommes et de femmes qui peuplent la face de la terre.
Nous
finissons la période de Noël et nous commençons l'année civile avec cette
vérité déroutante : Dieu m'aime et il m'aime bien. Nous avons été formés à
penser à un Dieu lointain, dans son ciel, et le voici tout proche en train de
verser le meilleur de lui-même en cet homme. Nous avions été habitués à
concevoir Dieu comme un être abstrait et mystérieux, et voilà qu’il prend un
visage d’homme, cherchant à faire battre un cœur de chair au rythme du cœur de
Dieu.
Nous
considérions Dieu comme le grand souverain que l’on supplie et à qui on demande
miracles, grâces et faveurs, et voici qu’il se manifeste dans la faiblesse et
la fragilité d’un enfant et d’un fils d’homme qui demande et qui a besoin.
Nous
attendions un messie, un envoyé de Dieu accueilli triomphalement par les
savants, les grands et les puissants de ce monde, et voilà, au contraire, qu’il
est reçu, reconnu seulement par les faibles, les humbles, les pauvres, les
paumés, les exclus, les habitants de la périphérie de la société et de la vie.
Nous
attendions un Dieu auquel il fallait prouver et montrer que nous sommes sages,
bons et vertueux, et voilà que l’on découvre un Dieu qui nous aime le premier, librement,
sans conditions, tels que nous sommes, simplement parce que nous sommes là et sans
avoir jamais rien fait pour le mériter.
Nous
avons tous été éduqués à mériter d'être aimés ; à faire des choses qui nous
rendent dignes de l'affection des autres. Dès notre plus jeune âge, nous avons été
formés à être de bons enfants, de bons élèves, de bons amis, de bons époux, de
bons parents, de bons travailleurs, de bons employés ... Le monde récompense
les gens qui réussissent, qui sont capables… Alors s’insinue en nous la
conviction que Dieu nous aime, certes, mais à certaines conditions. Ainsi nous
passons toute notre vie à quémander appréciation, approbation, autorisation, reconnaissance.
Je passe ma vie à courir après l'idée que les autres se font de moi ; à vouloir
être comme les autres veulent que je sois. Au lieu d'essayer d'être moi-même ;
d’être et de devenir ce que moi je veux être et devenir. Je passe mon temps à justifier
(vis-à-vis de moi-même et des autres) mon existence et ma raison d’être.
Dans
l’évangile de ce dimanche, au contraire, Dieu me dit que je suis son bien aimé, que son amour pour moi est entier,
total, inconditionnel. C’est un amour qui est là depuis toujours et qui durera
toujours. Car c’est un amour qui ne dépend pas de ce que je suis, de ce que je
fais, ou de ce que je deviens. Mais de ce que Dieu est. Et Dieu n’est qu’amour,
et il ne peut qu’aimer, car Dieu est l’amour. Dieu ne m'aime pas parce que je
suis sage, bon et vertueux, mais en m'aimant, il me rend bon et vertueux.
Il est difficile de « bien aimer », l'amour
est grandiose et ambigu, il peut construire et détruire, il ne s'agit pas
d'adorer quelqu'un, mais de l'aimer "bien", en le rendant autonome,
adulte, vrai, attentif, délicat et responsable
En
devenant des chrétiens par notre Baptême, nous aussi nous avons totalement
ouvert notre vie et notre cœur au flot de cet amour nouveau de Dieu, qui à
travers Jésus, coule aussi en nous. Nous passons notre vie à réussir, à rêver,
à vouloir être quelqu'un, à devenir important, grand, célèbre, ... mais nous ne
pourrons jamais être plus que des enfants bien-aimés
de Dieu. Cela devrait nous suffire, car c’est l’essentiel d’une vie. Et
cela nous le sommes déjà ! Cette fête, aujourd'hui, est la fête de ce qui est
caché en nous et qu'il faut redécouvrir.
Je
conclurai moi aussi avec l’exhortation que St Hilaire, évêque de Poitiers,
avait l’habitude d’adresser à ses fidèles à la fin de ses homélies : « Mes chers
chrétiens, devenez ce que vous êtes !»
BM
Montréal
7 janvier 2021